La photographie est-elle un art ?

De nos jours, une photographie peut être prise, modifiée et partagée en plusieurs exemplaires en seulement quelques secondes. Avec un simple smartphone, appareil qui n’est même pas entièrement conçu pour la photographie, des utilisateurs ordinaires parviennent réaliser des “exploits” dont les premiers grands photographes ne pouvaient même pas rêver. Est-il légitime, dans ce cas, de continuer à parler d’art photographique ?

Comme nous allons voir dans ce qui suit, cette question, qui est aussi vieille que la photographie elle-même, revient avec force à chacune des étapes ayant marqué l’histoire de la photographie. Vermeer n’a-t-il pas été, en un sens, accusé de tromperie quand il s’est avéré, plus de deux siècles après sa mort, qu’il avait eu recours à la caméra obscura, ce qui explique la « qualité photographique » de ses meilleures œuvres ?

 

La camera obscura : l’ancêtre

 

C’est à Aristote que nous devons la description la plus ancienne qui soit de la camera obscura. Cela signifie qu’elle remonte au moins au quatrième siècle avant Jésus Christ ! Pour ce qui est de la description de son principe de fonctionnement, il nous semble opportun, ici, de citer Léonard de Vinci lui-même : “En laissant les images des objets éclairés pénétrer par un petit trou dans une chambre très obscure, on intercepte ces images sur une feuille blanche dans cette chambre.”

 

Capter une image est une chose, mais la fixer sur un support en est une autre. Ce défi, il faudra attendre le 18e siècle pour qu’il commence à être relevé. L’inventeur Jacques Charles (1746-1823) est le premier à obtenir la fixation d’une silhouette obtenue au moyen d’une camera obscura sur une surface imprégnée de chlorure d’argent. Le résultat est néanmoins éphémère, car l’image, nette au début, s’estompe rapidement une fois exposée à la lumière.

 

Naissance de la photographie

 

En 1822, Joseph Nicéphore Niépce remplace le chlorure d’argent par le bitume de Judée, une matière noire qui blanchit et durcit sous l’effet de la lumière. Le résultat est autrement plus concluant. Il fallait, néanmoins, attendre 1837 et la mise au point par Louis Daguerre de son procédé nommé daguerréotype pour que soit proclamée officiellement la naissance de la photographie. Mais il faut noter que le daguerréotype produisait sur une plaque en cuivre un positif qui ne pouvait être reproduit qu’à l’aide d’un appareil photo.

 

En 1841, Henry Fox Talbot invente le calotype, procédé qui permet désormais de produire sur un support translucide une image négative à partir de laquelle plusieurs positifs peuvent être tirés sur papier. La photographie de masse, à peu près telle que nous la connaissons aujourd’hui, est née.

 

Démocratisation de la photographie et pictorialisme

 

Vers 1880, les appareils photo se démocratisent et on assiste à une standardisation à grande échelle des images ainsi produites. Ceux, parmi les grands amateurs de photographie, qui se considèrent comme des artistes à part entière, voient cela d’un mauvais œil. Ils veulent non seulement se démarquer de ce mouvement de vulgarisation, mais aussi démontrer que la photographie peut être un art à part entière. En 1888, un article-manifeste est publié en ce sens par Peter Henry Emerson. Il est intitulé Photography : a pictorial art. Il s’agit de l’acte de naissance du mouvement pictorialiste.

 

Selon les pictorialistes, une photographie d’art doit avant tout refléter le regard de son auteur en tant que créateur. Le but n’est pas de représenter un personnage, un objet ou un paysage avec précision, mais d’exprimer une émotion, de donner forme à une idée ou encore de transmettre un message. Il s’agit de transformer le réel et non de le reproduire.

 

Pour cela, les pictorialistes usent (et, selon certains, abusent) de techniques telles que l’effet du clair-obscur, le cadrage tronqué, le flou, etc. En postproduction, ils ont recours à divers artifices et techniques pour intervenir manuellement sur les images.

 

La photographie pure (Straight photography) ou le triomphe de la caméra

 

L’approche pictorialiste ne fait cependant pas l’unanimité. Partant de l’idée que la photographie devait cesser de se définir par rapport à la peinture, un groupe de photographes de la Côte Ouest des États-Unis, dont certains sont issus de « l’école » pictorialiste, décident que la caméra mérite d’être replacée au centre du travail du photographe. Ce que voit l’objectif de l’appareil photo, disent-ils, importe autant que ce que voit le photographe.

 

Anselm Adams, l’un des précurseurs de la photographie pure, prône une démarche artistique qui ne possède « aucune qualité de technique, de composition ou d’idée, dérivée de toute autre forme d’art ». Cela ne signifie pas une absence de toute manipulation. Au contraire, les photographes ont recours à de nombreuses techniques de traitement pour améliorer la clarté et la qualité globale de leurs tirages.

 

Progressivement, l’expression « photographie pure » finit par désigner une approche esthétique qui se démarque par l’importance qu’elle accorde au contraste, à la netteté de la mise au point et à la richesse de la tonalité. Il ne s’agit donc pas seulement de chercher la précision, mais de capturer avec la caméra des aspects de la réalité que l’œil du photographe à lui seul ne peut pas voir.

 

La photographie couleur

 

À peine la photographie a-t-elle été mise au point que l’on se met déjà, vers les années 1840, en quête de la formule miracle capable de reproduire les couleurs de la lumière captée. Suit une longue série de tentatives et de procédés plus ou moins réussis et, surtout, commercialement exploitables. Jusqu’à ce que, en 1935, l’entreprise américaine Kodak lance la première pellicule couleur sous le nom commercial de Kodachrome.

 

On aurait cru que les artistes photographes se seraient jetés sur cette occasion inespérée de rivaliser enfin avec les peintres. Il n’en est rien. Invités par les fabricants à utiliser la pellicule couleur, des photographes de renom comme Edward Weston et Walker Evans refusent catégoriquement de commettre ce qui, pour eux, n’est rien d’autre qu’un affront à l’art de la photographie. Quant à ceux qui, comme William Eggleston, croient en l’avenir artistique de la photographie couleur, ils sont, dans le meilleur des cas, ignorés par les critiques et les conservateurs de musée.

 

En 1976, pourtant, retournement de situation spectaculaire! le MoMA de New York, temple suprême de l’art moderne s’il en est, accepte d’exposer les travaux d’Eggleston. La photographie couleur vient enfin de recevoir la bénédiction tant attendue de la plus grande institution de validation des Etats-Unis, voire du monde. Considéré comme le photographe postmoderniste par excellence, Eggleston réalise ainsi un tour de force et donne lieu à un véritable tournant dans l’histoire de la photographie.

 

La photo numérique ou l’âge de tous les possibles

 

La fin du 20 e siècle est marquée par de nouveaux bouleversements dans l’univers de la photographie. Du jour au lendemain, le capteur photosensible détrône les supports traditionnels et fait main basse sur le monde de la photo. La photographie telle que nous la connaissons jusque-là(et qu’il faut désormais appeler photographie analogique) vient d’avoir une petite sœur qui va bientôt devenir grande, très grande : la photo numérique.

 

En plus d’être peu chronophage et très économique (puisqu’elle se passe de pellicule et de tous les accessoires nécessaires au développement des clichés), la photographie numérique procure une grande liberté d’action et, surtout, un inestimable droit à l’erreur. Fini le temps où un photographe paysagiste rentrait chez lui, la peur au ventre, angoissé à l’idée qu’aucun des clichés fixés sur sa pellicule ne produira un cliché exploitable. Désormais, avec des centaines de prises de vue sur sa carte mémoire, il sait qu’il y en aura toujours quelques-unes qui feront son bonheur.

 

L’art photographique a évolué en même temps que les moyens technologiques (appareils photo, objectifs, ordinateurs, supports numériques, logiciels de traitement photo, etc.) À mesure que ces technologies se développent, les artistes photographes trouvent à leur disposition des moyens toujours plus à même de les aider à traiter et à modifier les images (couleur, cadrage, exposition, etc) conformément à leur style et à leur expression artistique.

 

Dès lors, on assiste à ce que certains considèrent comme une disparition progressive de toute ligne de démarcation entre le travail du professionnel confirmé de celui de l’amateur qui s’amuse à jongler avec les pixels. Ulcérés, des artistes photographe tremblent à l’idée qu’il ne sera bientôt plus possible de distinguer leurs réalisations de celles de novices qui découvrent la photographie, mais qui, néanmoins, disposent et savent se servir d’appareils haut de gamme et de logiciels photo surpuissants.

 

Ces craintes sont, sans aucun doute, fondées et on comprend aisément le dépit des artistes photographes « traditionnels ». Mais en quoi cette tendance est-elle mauvaise pour l’art lui-même ? N’y a-t-il pas, au contraire, de quoi se réjouir de voir un informaticien se découvrir une âme d’artiste et produire une œuvre qui, à l’instar du NFT « Everyday : the first five thousand days » de Beeple, se vend à plusieurs dizaines de millions de dollars ?

 

Tereza

0 commentaires

Contactez moi

Prêt à planifier une séance photo ?

CONTACTEZ MOI

Keep On Reading

More Posts From The Blog

Photographie de Robert Doisneau

Photographie de Robert Doisneau

Faisant partie des photographes français les plus populaires de son époque, Robert Doisneau est reconnu comme étant le diaporama des photos en noir et blanc. Il s'agit de l'un des photographes d'après-guerre qui dispose de plus de 325 000 négatifs dans ses archives....

lire plus
Intelligence artificielle dans les logiciels de retouche

Intelligence artificielle dans les logiciels de retouche

Intelligence artificielle dans les logiciels de retouche L’IA révolutionne de nombreux domaines, y compris la retouche photo. Des outils basés sur cette technologie facilitent le processus, le rendant même accessible aux amateurs. Cet article présente les solutions...

lire plus
Histoire de la photographie

Histoire de la photographie

Histoire de la photographie Dans cet article, vous allez découvrir l'évolution fascinante de la photographie, cette passion qui a capturé les sourires, les paysages et même les moments embarrassants avec une précision étonnante. Des premières caméras rudimentaires aux...

lire plus